Etre Français Poem by Marcel Aouizerate

Etre Français

Depuis quelques semaines, Marine Le Pen a cessé de parler. Elle n'en a plus besoin: elle laisse s'étendre la tâche d'huile de son idéologie. Devant elle, le vide s'est fait et d'autres idiots utiles se chargent de l'occuper.

A ceux qui se reconnaissent dans le camp républicain, je prétends que nous avons été profondément négligents avec un concept fondamental. Nous l'avons été par paresse et, pire, nous l'avons été par orgueil: nous pensions moderne d'ignorer nos racines. L'idée que nous avons abandonnée à d'autres pour qu'ils la souillent en y plaçant une caricature grimaçante, c'est celle de la citoyenneté française.

En quelques décennies, la notion même de citoyenneté s'est vidée de son sens puis elle a fait l'objet d'un rapt par les forces les plus réactionnaires du spectre politique. Je sauterai à pieds joints sur trois siècles d'histoire, je simplifierai un arc-en-ciel de nuances, dont certaines firent l'objet de débats les plus âpres, mais j'avancerai ceci.

Premièrement, au dix-huitième siècle, le peuple soulevé ouvrit l'ère de la citoyenneté civile, inventant la notion d'égalité des droits et de séparation radicale des ordres. Pourtant, il est singulier de voir quelle inquiétude nous saisit aujourd'hui face aux revendications religieuses de certaines catégories. Imaginez vous par exemple affirmer en public que si des examens ont lieu un jour de Kippour ce n'est pas le problème de l'Education Nationale, c'est le problème des juifs, ou que si les piscines sont mixtes, ce n'est pas le problème des mairies qui les gèrent, c'est le problème des musulmans, etc. Le simple fait que nous sachions plus rappeler sans frémir cet ordre de priorité constitue un renoncement.

Le mouvement de définition de la citoyenneté connaîtra une évolution majeure au dix-neuvième siècle avec l'écriture du Code Civil, mais il viendra surtout s'enrichir d'un volet politique créant les conditions d'un citoyen participant pleinement à la vie électorale. Après près de cent ans de régimes plus ou moins autoritaires, et dix ans après la Commune, la France devient une république participative. Il est frappant de constater que l'émergence de la citoyenneté politique en France se matérialise en 1901 par les lois fondatrices sur la liberté de réunion, de se syndiquer, de former parti politique.

A cette époque, être citoyen français c'est donc participer à la construction du bien commun par un engagement dans les instances de négociation sociale et de prise de décision. C'est donner de son temps pour que ses droits soient protégés, et donc, implicitement, mettre en face des droits, les devoirs politiques attachés. En laissant accroire, depuis disons les années 1980, qu'il serait envisageable d'être citoyen français sans donner de sa personne pour que fonctionne la Cité - faisant ainsi de l'électeur un consommateur - nous avons abandonné un peu plus la citadelle aux barbares. Il est grand temps de rappeler que la citoyenneté française implique un devoir de participation constructive qui ne se résume pas à payer l'impôt.

Enfin, au vingtième siècle, émergea du fracas des guerres, la notion de citoyenneté socio-économique, avec une expansion radicale des schémas de redistribution et d'assurance contre les mouvements erratiques de la fortune. Après le Front Populaire, après la mise en place du programme du CNR, le citoyen français put légitimement attendre en retour de sa participation, une protection contre les conséquences de la maladie, une couverture de ses besoins lorsqu'il avançait en âge, une main tendue si il était au chômage.

Or par lâcheté, alors que changeaient les conditions économiques qui avaient permis l'établissement de ces droits, le pays décida de tromper le bénéficiaire en lui assurant qu'il serait toujours couvert et toujours de belle manière. Aujourd'hui, chacun réalise qu'il s'agissait d'un mensonge mais la gravité de ce mensonge tient en ce qu'il tourna en ridicule quiconque voulait s'affirmer français du fait de son adhésion à un tel système.

Il y avait une fierté toute française à avoir apporté ces notions nouvelles de solidarité pratique. Elles servirent de ciment entre des populations disparates et ce jusqu'au jour où nous privilégiâmes leur mécanique exsangue au prix de leur esprit vivant. Peut-être faut-il, afin de rendre praticable la citoyenneté socio-économique à la française, rappeler une chose dont découlent de nombreuses conséquences: notre système vise à couvrir les aléas de la vie, mais seulement en fonction de moyens qui ne sont ni illimités et ni ne peuvent être étendus sans conditions. A cet égard, il est assez désespérant qu'une large coupe de la classe politique veuille évacuer le caractère tragique de la solidarité, cette dernière n'a de valeur qu'à la mesure de la finitude de nos moyens.

Nous avons le choix. Nous pouvons ignorer les contraintes et cesser de persévérer. En revanche, notre seule chance d'arracher l'idée de nation solidaire à ceux et celles qui l'insultent réside dans un rappel des contraintes liées aux trois dimensions de la citoyenneté française, civile, politique et socio-économique.

Thursday, November 6, 2014
Topic(s) of this poem: politics
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