Amina Saïd

Amina Saïd Poems

I was born on the shores
of the sea of the setting sun
the deep green sea
the sea of the Philistines
...

I spoke the language
of the world I'd come from
bore witness to a shadow
which was the shadow
...

I borrowed the sun's wings
to fly toward that spot between two shores

I built towers of sand
where that shadow lived which served as my body
...

to live in perpetual Sunday
sun perched on the horizon
in each thing's clarity
earth contemplates its seasons
...

where the lights of the city are dancing
the trees' silence within eternal summer the ocean's silence
from which a new day is hoisted each morning
silence on the lawns where gray birds graze
...

of this lion-colored earth
when its eyes absent themselves
to open on the blue
which colors its sense
...

but in an excess of night with hidden doorways
I create you in your own image caress your waters

we watch ourselves draw apart
...

and rises in blood

each beginning draws a circle
memory leads to the sea of beginnings
the pier is made of stone the tree of exile
...

drunk on war and violence
Medellin will sink into sadness
as soon as you've left we'll stay there
waiting for the light simply
...

nous vivons dans un pays
ivre de violence et de guerre
Medellin sombrera dans la tristesse
dès votre départ nous resterons là
à attendre la lumière simplement
vous remercier d'être venus
. . .
merci d'être venus parmi nous
desplazados ayant fui nos villages
notre passé notre présent saccagés
quel avenir pour nos enfants ici à La Cruz
c'est notre âme qu'on nous a arrachée
là-bas avec notre terre
. . .
tirs sporadiques dans la montagne en face
tranquilla me dit une femme
sur le sentier du retour
les combats sont éloignés
sous les lentes spirales
des rapaces noirs
une bouteille de vin du Chili
circule de main en main
. . .
je ne sais rien de ce pays dis-tu
en Pennsylvanie on peut vivre tranquille
sans rien savoir du reste du monde
explique-moi dis-tu ta voix posée
telle une caresse laissée en suspens
. . .
une bombe a explosé en pleine nuit
tout près de notre hôtel à Bogotá
cela m'a ouvert les yeux dis-tu
depuis j'ai cherché à comprendre
. . .
libertad hurle la foule debout
après la lecture d'un poème
dans l'amphithéâtre Carlos-Vieco
LIBERTAD
...

we live in a country
drunk on war and violence
Medellin will sink into sadness
as soon as you've left we'll stay there
waiting for the light simply
to thank you for having come
. . .
thank you for coming to be here with us
desplazados who have fled our villages
our past our present laid waste
what future for our children here in La Cruz
it's our soul they've torn out
back there with our lands
. . .
sporadic gunfire from the mountain in front of us
tranquilla a woman says to me
on the path back
the fighting is far away
under the slow spirals
of black hawks
a bottle of Chilean wine
passes from hand to hand
. . .
I don't know anything about this country you say
you can live comfortably in Pennsylvania
and know nothing about the rest of the world
tell me about it you say your voice poised
like an interrupted caress
. . .
a bomb went off in the middle of the night
right next to our hotel in Bogotá
that opened my eyes you say
since then I've tried to understand
. . .
libertad cries the crowd standing as one
after a poem is read
in the Carlos-Vieco auditorium
LIBERTAD
...

j'eus dix ans le ciel en tête
j'empruntai ses ailes au soleil
pour voler vers ce lieu entre deux rives

j'élevai des tours de sable
qu'habitait l'ombre qui me servait de corps

corps mûri par un soleil d'extrême été
j'étais dans la pensée du vent
les tons de la lumière
composaient mon paysage

j'étais dans la couleur du jour
je grimaçais avec les pierres
où s'abritaient les scorpions
dans l'île les femmes portaient un masque
peut-être par pudeur

le ciel en tête je me faisais invisible
pour mieux voir frappais aux vitres
où se rassemblait le jour
en un hymne quotidien
je cherchais un sens à la forme -
au-delà le monde devait exister

j'eus vingt ans impatiente
d'aborder des continents neufs
je quittai la maison de mon père
livrai à la lumière ma liberté d'oiseau
entrai dans l'espace de l'obscur

je cherchai à ouvrir des portes invisibles
affirmai lire la matière même du silence
comme une langue natale
fis du passé un commencement
et du présent une double absence

corps vivant plus que mort
je refusais que la nuit me sépare
du jour et le jour de la nuit

veilleur du rêve que le rêve invente
que cherchais-je lorsque j'ouvrais les yeux
sur les couleurs du monde
que jamais ne perd de vue le soleil

de la mémoire seconde des mots
naît l'émotion la plus réelle
j'habite cette musique
que je ne puis être seule à entendre

ombre qui suit ou précède son ombre
aux frontières entre rêve et réel
je demeure en marge de moi-même
dans l'espace et dans le temps

comment savoir si en ce lieu
de nulle part où se libère la voix
je suis venue de moi-même
ou s'il s'est imposé
...

I was ten years old head full of sky
I borrowed the sun's wings
to fly toward that spot between two shores

I built towers of sand
where that shadow lived which served as my body

body ripened by a sun of extreme summer
I was in the wind's thoughts
intonations of light
composed my landscape

in the color of day
I scowled with the stones
where scorpions sheltered
on the island, women went masked
perhaps out of modesty

sky in my head I would make myself invisible
to see better, knocked at windowpanes
where the day gathered
in an ordinary hymn
I looked for meaning in form -
somewhere out there the world must exist

I was twenty years old impatient
to shore up at new continents
I left my father's house
gave my avian liberty up to the light
entered the space of darkness

I tried to open invisible doors
claimed to read the very stuff of silence
like a mother tongue
made a beginning of the past
and a double absence of the present

body more alive than dead
I refused to let night separate me
from day or day from night

watcher of dreams whom a dream invented
what was I looking for when I opened my eyes
on the colors of the world
which the sun never lets out of its sight

from words' second memory
real feeling is born
I inhabit that music
which I can't be the only one to hear

shadow which follows or precedes its shadow
on the border between dream and real
I stay on my own margins
in space and time

how to know if in this nowhere
place where a voice sets itself free
I came of my own free will
or if it was imposed on me
...

je suis enfant et libre
d'habiter d'éternels dimanches
soleil posé sur l'horizon
dans la clarté de toute chose
la terre contemple ses saisons
je n'ai lieu ni demeure
la vie est partout et nulle part

dans la citerne du patio l'aïeule puise
l'eau pour le basilic et la menthe
pile le sel et les épices
livre son combat quotidien au réel
la brise gonfle les rayures du rideau
la lampe brille encore
je joue de l'autre côté des images

dans les jardins de mon père
les arbres portent des fruits anciens
chuchotent dans la langue des oiseaux
l'eau du puits chante dans les sillons
sous mon pas naissent des chemins de sable
je suis dans l'innocence du jour
pur commencement sans avant ni après

d'une maisonnette construite tel un bateau
je me laisse couler dans l'émotion bleue
un ballet d'hippocampes frôle
les étoiles tombées du ciel
des oursins fleurissent les rochers
des algues scintillent à mon poignet
seul vit l'instant dans ce que je contemple

je suis enfant et libre
je n'ai lieu ni demeure
vaste est l'horizon quand le monde
tout entier est poème
il fait grand jour sur la terre
la nuit n'est pas encore créée
j'ai pied dans tous les temps
...

I am a child and free
to live in perpetual Sunday
sun perched on the horizon
in each thing's clarity
earth contemplates its seasons
I have no place or dwelling
life is everywhere and nowhere

from the courtyard cistern the grandmother draws
water for the mint and basil
grinds the salt and spices
wages her daily battle with the real world
the breeze swells out stripes on the curtains
the lamp still glows
I play beyond the pictures

in my father's gardens
the trees bear ancient fruit
whisper in the birds' language
well-water sings in the furrows
beneath my steps sand-paths are born
I inhabit the day's innocence
pure beginning with no before or after

from a little house built like a boat
I let myself flow into blue emotion
a sea-horse ballet brushes
against fallen stars
sea-urchins blossom on the rocks
seaweed glitters on my wrist
only the moment lives in what I gaze at

I am a child and free
I have no place or dwelling
how vast the sky is when the whole
world is a poem
it's broad daylight on earth
night has not yet been created
I have a foothold in all of time
...

chaque jour le soleil égorge son spectre
et se lève dans son sang

tout commencement dessine un cercle
la mémoire mène à la mer des commencements
la jetée est de pierre l'arbre d'exil
j'aspire à l'horizon

sur un fil de lumière
je vais vers ce lieu qui est toi
et ce qui fut advient

une étoile danse sur le ciel de mon front
l'oiseau en nous renaît de la rive de l'âme
ta parole est tienne mienne est ma parole

tu rejoins le lieu que je suis
et le poème continue de s'écrire

je vois ton visage et l'ombre sur ton visage
comme le poème la souffrance se partage
nous compatissons à l'arbre aux saisons
trop brèves et à l'exil des saisons
aux sourires et aux déchirements de la terre
aux malheurs des hommes aux prières des femmes

à nos voeux l'instant prend sa forme éblouie
le temps s'efface tel un paysage
nous vivons les deux moitiés de nos vies
comme un voyage qui se souviendrait peut-être
du nom des îles des oiseaux des ports
du sillage blanc des navires des villes des êtres
du cycle des arrivées et des départs

et nous tombons amoureux de la nuit
parce que chaque nuit célèbre les noces du rêve
et nous tombons amoureux du jour
parce que la vie commence avec chaque jour
...

toi qui n'es plus dans le présent du monde
mais dans un excès de nuit aux seuils introuvables
je te façonne à ton image et caresse tes eaux

nous nous regardons nous éloigner
et le rêve ombre la nuit jamais indifférente
pour resurgir de tout son poids d'aérienne souffrance

je te garde multiple
dans le creuset des haleines fécondes
dans les corolles butineuses du silence
au cœur de la parole en fragments d'aurores
ressuscitées dans le frisson du jour prodigue

simplement je me repose de ton rêve
des soleils dans les yeux
il en va de certains rêves
comme d'un grand bonheur d'une grande douleur

à ton silence quand la voix manque
au rêve que tu portes dans ta nuit

il faut nourrir la flamme et protéger la lampe
...

tu te doutes de la patience
de cette terre fauve
quand ses yeux s'absentent
pour s'ouvrir sur le bleu
qui colore son sens

comme toi comme le poème
cette terre est née
du regard qui l'a rêvée

la vie est une traversée
entre deux rives
analogie des marges
lent mouvement vers l'inachevé
chant d'innocence et de mémoire

scribe dans la nuit de la langue
quand la nuit parle la langue du néant
tu es sur cette terre
pour cultiver ton âme
apprivoiser ce qu'il y a d'humain
dans l'angoisse
habiter la parole de la parole
et conserver la promesse du poème
...

anse du port de Durban
où dansent les lueurs de la ville
silence des arbres dans l'éternel été silence de l'océan
d'où chaque matin se hisse un jour nouveau
silence sur les pelouses où paissent des oiseaux gris
silence du poète bras tailladé par la lame rouillée
parodies de masques tournés vers le silence du ciel
citadins ivres de bière dès que tombe le rideau
de la nuit chacun barricadé dans son silence
parce que trop de mots demeurent imprononçables
ces mots que hurlera Sandile sur scène et ailleurs
comme la lame rouillée hurla dans le bras du poète

baraques à la périphérie villages abandonnés de l'intérieur
femmes en robes fleuries dans l'attente de l'improbable
petits singes curieux sur le bord des routes
halte sous l'enivrant marula l'arbre à liqueur
soudain je parle d'un voyage au coeur d'un autre désert
...

au septième jour de ma naissance
je parlai le langage
du monde d'où je venais
témoignai de l'ombre
qui était l'ombre
d'un autre lumière
que personne ne voyait

au septième mois de ma naissance
ma bouche prit la forme du vide
je criai pour dire le vrai
et ce que le présent m'avait appris
du passé du futur
mais personne n'entendait

la septième année de ma naissance
je rêvai ce qui avait été
sur la page quadrillée du monde
je traçai lettre après lettre
pour me souvenir
de ce qu'il me faudrait oublier
et de ce qui déjà mourait en moi
...

Amina Saïd Biography

Amina Saïd was born in Tunisia. She lives in Paris, where she works as a journalist and translator. She has published ten volumes of poems, the latest of which is La Douleur des seuils. Since 1996 she has been engaged in translating the work of the Philippino novelist Franciso Sionil Jose.)

The Best Poem Of Amina Saïd

[I was born on the shores]

I was born on the shores
of the sea of the setting sun
the deep green sea
the sea of the Philistines
that washed on Carthage
the white interior sea of the Arabs
whose horses swept along its banks

*

I grew up algae wave fish
star with multiple branches
the first letter of the alphabet
etched on my brow

*

at seven I swam on black waters
along moon traced pathlight
up to the country of limits
I took lessons on mirages
intemporal scribe
dedicated to handwriting the centuries
with ink from the indigo sea

*

at nine in wonder I discovered a sunken city
surfacing I laid out my wings to dry on the dunes
I counted the stones before gathering them
I had two faces I lived in two worlds

*

at eleven I no longer spoke to anyone
yet a language was taking shape in my mouth
I was looking in silence for the secret of poetry
I was trying to define myself within the orders of clarity
under its white veil behind made-up eyelids
my city kept its mysteries
did not console itself for its lost beauty
the sea gate on longer open on the wide
neglecting our most beautiful legends
we lived our days and our nights seated
around a marble fountain gone dry

*

at sixteen I had the solemn smile
of one who dreams of breaking away
I had two faces I lived in two worlds
marvellously immobile
blind sphinxes peopled my sand gardens
firebirds flew across the sky
fissures of silence in the slow day's working
with death as an horizon the sea held us back
its medusa thighs undulating under our fingers

*

we lived our days and nights seated
around a marble fountain gone dry
the sea gate no longer opened on the wide
blind sphinxes peopled my sand gardens
when a palm tree was planted which soon caressed the clouds
I remained at its foot my eyes towards the sky
my grandmother reappeared
it is a sign she said you will leave us
she gave the usual commendations
poured on green water after my footsteps
have you come back she said
already I was at the other shore

*

at forty always inhabited by shadows
between past and future
I issue from my childhood and thus from nowhere else
I remember a night which was young
lived to the rhythm of the sea
there was much between the world and myself
so much space and yet so little
enchantment complicity
this was before the protracted agony of the planet
before the rent in the mask
I had two faces I lived in two worlds
facing the embrace of the blue horizon
I dreamt of undulations in the desert

*

I issue from my childhood and thus from nowhere else
which truth therefore remains to be discovered
other than each day's sun
other than the ebb of sand from my winged hand
the immense voice of the world
in the single weft
of an indulgent language which was given to me

*

I who keep coming who keep leaving
each threshold crossed
I advance toward my demise toward the first day
solitude thus scoops itself out
as one explores the bottom of an empty well
- for darkness only for darkness faced with oneself -
seeking the place where the reflection of light is found

praise for the one syllable sun
the archipelago of silence where I find my words
the voyage from threshold to threshold which is the real trip
praise to him who goes astray
he whose words are singular
praise for the world because everything exists
everywhere then in the poem and in it too

*

still between past and future
I wanted to discover who she had to be
now I am seeking who she was
I issue from my childhood and thus from nowhere else
midnight light alphabet of nothingness
sea of the setting sun white sea
west of your dreams vast inner sea

Translated by Amina Saïd and Frank Kazich

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