LES ALLERGIES DE MONSIEUR NÉANT Poem by Emmanuel Moses

LES ALLERGIES DE MONSIEUR NÉANT

À un âge avancé monsieur Néant devient allergique au thon ;
il le découvre par hasard
dans un restaurant italien du centre historique de la ville.
Son visage s'enflamme, ses yeux sont injectés de sang
ses voisins de table reculent leur siège, effrayés,
réclament l'intervention d'un médecin,
mais monsieur Néant refuse catégoriquement tout secours
et se dirige en titubant vers les toilettes
avant de s'effondrer la tête à l'intérieur de la cuvette.
Il est à peine rétabli de sa première crise
qu'en survient une seconde,
plus forte encore,
qui le terrasse pendant plusieurs jours.
Malgré une reconstitution minutieuse de ses aliment liquides
comme solides,
ne parvenant à aucune conclusion probante,
monsieur Néant se demande si ce n'est pas l'environnement
qui a provoqué cette fois son malaise.
Il soupçonne les pigeons du square où, quand le temps le
permet,
il descend lire le journal du soir,
le chat de sa voisine qui, mystérieusement, préfère son balcon
encombré de caisses vermoulues et de chaises mangées de
rouille
à celui, fleuri, de sa maîtresse
à moins qu'il ne s'agisse du cyprès moribond derrière le mur
du couvent des Augustines,
dernier vestige d'un parc disparu.
Puis lors d'une croisière sur le Nil à bord du yacht de luxe
Ferdinand-de-Lesseps,
en l'absence de tout animal, du moindre arbrisseau,
se nourrissant exclusivement de pain et de riz en raison d'une
dysenterie contractée l'après-midi de son arrivée,
l'attaque, deux fois aussi forte que celle dont il a été victime au
restaurant,
lui fait soudain comprendre la nature multifactorielle de sa
réaction :
les agents sont nombreux ;
et le plus surprenant d'entre eux,
découvert de manière empirique sur le pont supérieur
à l'occasion de la soirée « Valses de Vienne »,
est certainement les femmes. Pas un certain type de femmes,
non, les femmes en général.
Il faut préciser que les hommes l'irritent presque autant
et là encore, quels qu'ils soient.
Seuls les enfants, les bébés surtout, et les grands vieillards
— il y en a deux ou trois qui se réchauffent au soleil du désert
recroquevillés dans leur fauteuil roulant —
semblent dépourvus de ces éléments que rejette si violemment
son organisme.

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