Emmanuel Moses

Emmanuel Moses Poems

He had remembered old conversations with this one and that one,
Viaticums which seemed to him to be past use,
In a room almost entirely occupied by a baby grand piano,
...

From Bergen they write: we'll be back before the holidays,
we miss you,
from the Côte d'Azur: it's hard to love by proxy
but still
...

3.

At the hour when the world ceases to be
you will be sitting under a plane-tree half unleafed
on a lively, noisy avenue
...

Mr. Nobody, no longer young, develops an allergy to tuna;
he discovers this by accident
in an Italian restaurant in the historic city center.
His face turns red, his eyes go bloodshot
...

In the Destiny Motel, Mr. Nobody carefully reworks the last act
of a play begun six decades earlier in an African country
beneath its flags and lime-whitened acacias.
...

"Pisz na Berdyczów!" That means "Write to me at Berdichev"
Since all the merchants of Poland, Lithuania and Russia
Passed through Berdichev, a main commercial and banking center of the region
...

He kept walking
between the poplars and the tarmac
went by farms fields
...

Quick! Colors through the window
Colors on fields and forests
Before the weather changes
And changes everything
...

Vite ! Des couleurs par la fenêtre
Des couleurs sur les champs et les forêts
Avant que le temps change
Et change tout
Qu'il vide de leur substance les champs et les forêts
Les étangs, les fermes
Comme le soleil est fugace !
Comme le ciel se rit de notre regard admiratif
L'éternité n'est qu'un trompe-l'œil
L'immensité, une abstraction douteuse
L'or des blés - vite !
Le rose des pierres de construction - vite !
Le vert froid des frondaisons - vite !
La rouille des buissons, des rails, du ballast - vite !
Le jaune du colza dans les champs presque noirs
L'argent des cours d'eau
Le vert bruni par le limon des rivières poissonneuses - vite !
Le violet des choux en carrés sages - vite !
Le gris des routes - vite !
Le bleu absolu des journées claires de l'automne adouci par le sud - vite !
Le rouge ! Le rouge ! Le rouge des tracteurs, des automobiles, des signaux - vite !
Le rouge d'une casquette de chasseur, le fusil coincé sous l'aisselle - vite !
(Et bientôt le rouge imaginé du sang la bête morte)
Le vert métallique de nos peupliers routiers - vite !
Le bleu des toits en ardoise - vite !
Le bleu des montagnes lointaines - vite !
Bleu de la pierre, bleu de l'horizon,
Bleu de la lumière tombée en fine vapeur sur le monde - vite !
Et le blanc - j'allais oublier le blanc - le blanc des chemins de poussière ou de terre
Le blanc des vaches paressant dans l'herbe des pâturages - vite !
Le blanc omniprésent et méprisé par l'œil
D'un mur entre deux cyprès, de camions roulant à vive allure
Le blanc - vite !
Puis le noir ! Le noir ! Le noir de la terre féconde tournée et retournée - vite !
Le noir d'un cheval que les trains rendent fou
Qui galope en cercles affolés le long des barrières de l'enclos - vite !
Le noir d'une cheminée de village aussi muette qu'une bouche fermée - vite !
Le noir d'un clocher de village qui ne rejoindra jamais les bras du sauveur - vite !
Le blanc, le noir, le vert, le rose, le bleu et l'or -
Vite ! Vite ! Vite !
...

Il s'était souvenu de vieilles conversations avec les uns
et les autres,
De viatiques qui lui avaient semblé hors d'usage,
Dans une pièce occupée presque entièrement par un
piano quart-de-queue,
Alors qu'au milieu de la place le lampadaire grésillait,
Petite place allemande et orientale ombragée par un pin,
Mais surtout sur le banc à Greenwich,
Le ciel immense, le soir qui tombait
Sur la ligne des peupliers bordant la pelouse
Où des enfants jouaient au foot, des gens promenaient
leur chien,
Quelques vieux prenaient l'air avant de retrouver
l'atmosphère confinée,
L'odeur médicamenteuse de leur chambre,
Un bimoteur amorçait son atterrissage vers un club
voisin,
Mim lui avait dit il faut pouvoir parler de soi
Ou bien on ne parle finalement que de soi,
Le ci-devant briseur de cœur de Moscou à Czernowitz,
Le guitariste aux boucles claires et à la moue enfantine,
À présent un petit homme approchant la cinquantaine,
Courbé, au sourire timide d'émigré,
Avec son pull à grosses mailles, ses bottines bon marché,
Le fatalisme amer de celui qui a connu l'espoir,
L'a vu grandir et s'envoler
Le laissant seul avec son présent hasardeux sinon
pitoyable,
Le deux pièces dans une banlieue ouvrière, la course
après le cachet,
Les économies de bout de chandelle,
Le fils demeuré au pays, la fille partie,
La femme durcie par sa vie d'épouse délaissée, trompée,
Manifestant par chaque geste, chaque parole,
Qu'il est trop tard pour tout recommencer,
Qui se contente de dériver sans opposer la moindre
résistance,
Avec une patience infinie,
Car qu'a-t-elle à attendre qu'elle n'ait perdu,
Même Grad, arpentant l'appartement de long en large,
Probablement déjà envahi par les métastases,
Avait montré des réticences,
On ne cherche pas impunément à échapper à son Tout-
Puissant,
Serait-ce en embarquant pour les lointains,
En s'étendant sur son bat-flanc et en se laissant prendre
par le sommeil,
Lui s'était brûlé les ailes-
Personne d'autre ici, entre l'hôpital Saint-Louis et
l'Institut Curie
N'avait eu le cran de le faire-
Et nul ne serait sauvé à moins de s'engager sur le même
chemin,
Âpre, dur.
...

De Bergen ils écrivent : nous reviendrons avant les fêtes,
vous nous manquez,
de la Côte : il est difficile d'aimer par procuration
et encore
pourquoi ce silence ?
Nous nous levons à l'aube
comme nos pères
le café et les conversations incompréhensibles
ont leur vertu.
En pensant à vous,
nous contemplons la mosaïque du soleil et de la mer
jusqu'au soir où la lune trace des chemins
pour les derniers pêcheurs
l'histoire nous parle autant que la nature
à Rome, il fait plus chaud qu'à la maison.
La distance joue inlassablement
son menuet mélancolique.
...

12.

À l'heure où la terre cessera d'être
tu seras assis sous un platane à moitié dépouillé
dans une avenue animée et bruyante
rien autour de toi n'aura vraiment changé
tu resteras le père, le fils et l'amant
un rêve te tracassera comme un reste de nourriture coincé entre
deux dents
tu continueras d'observer les enfants, les cyclistes et les chiens
à te demander ce qu'est l'amour
si tu l'as trouvé, perdu ou constamment éludé
à essayer de déchiffrer des signes qui n'en sont peut-être pas
à examiner des souvenirs avec l'attention de l'entomologiste
penché sur son insecte
et qui ne voit plus que des surfaces réticulaires
oubliant la créature trouvée au milieu d'un parc noyé de
brume
tu songeras aux fruits de saison et à acheter de nouvelles chaus-
sures
à une page lue quelques heures plus tôt dans ton bain
aux carreaux de l'immeuble voisin comme éclairés par un
incendie
que tu as longuement observés la veille avant de te coucher
à l'heure où la terre cessera d'être
tu feras des calculs tu passeras en revue des hypothèses
mille fois formulées
tu battras le rappel de toutes les solutions
tu te lèveras tu écarteras distraitement du pied deux ou trois
feuilles
tu t'éloigneras vers le néant
le dos tourné au néant
si vivant
...

À un âge avancé monsieur Néant devient allergique au thon ;
il le découvre par hasard
dans un restaurant italien du centre historique de la ville.
Son visage s'enflamme, ses yeux sont injectés de sang
ses voisins de table reculent leur siège, effrayés,
réclament l'intervention d'un médecin,
mais monsieur Néant refuse catégoriquement tout secours
et se dirige en titubant vers les toilettes
avant de s'effondrer la tête à l'intérieur de la cuvette.
Il est à peine rétabli de sa première crise
qu'en survient une seconde,
plus forte encore,
qui le terrasse pendant plusieurs jours.
Malgré une reconstitution minutieuse de ses aliment liquides
comme solides,
ne parvenant à aucune conclusion probante,
monsieur Néant se demande si ce n'est pas l'environnement
qui a provoqué cette fois son malaise.
Il soupçonne les pigeons du square où, quand le temps le
permet,
il descend lire le journal du soir,
le chat de sa voisine qui, mystérieusement, préfère son balcon
encombré de caisses vermoulues et de chaises mangées de
rouille
à celui, fleuri, de sa maîtresse
à moins qu'il ne s'agisse du cyprès moribond derrière le mur
du couvent des Augustines,
dernier vestige d'un parc disparu.
Puis lors d'une croisière sur le Nil à bord du yacht de luxe
Ferdinand-de-Lesseps,
en l'absence de tout animal, du moindre arbrisseau,
se nourrissant exclusivement de pain et de riz en raison d'une
dysenterie contractée l'après-midi de son arrivée,
l'attaque, deux fois aussi forte que celle dont il a été victime au
restaurant,
lui fait soudain comprendre la nature multifactorielle de sa
réaction :
les agents sont nombreux ;
et le plus surprenant d'entre eux,
découvert de manière empirique sur le pont supérieur
à l'occasion de la soirée « Valses de Vienne »,
est certainement les femmes. Pas un certain type de femmes,
non, les femmes en général.
Il faut préciser que les hommes l'irritent presque autant
et là encore, quels qu'ils soient.
Seuls les enfants, les bébés surtout, et les grands vieillards
— il y en a deux ou trois qui se réchauffent au soleil du désert
recroquevillés dans leur fauteuil roulant —
semblent dépourvus de ces éléments que rejette si violemment
son organisme.
...

Au motel La Destinée monsieur Néant prépare soigneusement
le dernier acte
d'une comédie commencée quelque soixante ans plus tôt dans
un pays d'Afrique
sous les drapeaux et les acacias blanchis à la chaux
c'est la plus longue comédie de l'histoire
il l'a vécue, incarnée, réalisée jour après jour
elle à qui il aura tout consacré le regarde maintenant en face
et lui rit au nez.
Monsieur Néant a allumé le poste de télévision qui ne diffuse
à cette heure-ci
que des jeux dont les gains consistent en des appareils électro-
ménagers des sommes dérisoires
ou des conjoints pour relations durables ;
par la fenêtre de sa chambre il voit le flot de la circulation
vespérale
des enseignes partiellement éteintes de l'autre côté de l'auto-
route
(ce qui donne des combinaisons amusantes tels ces Nootel ou
Koak)
et un euphémisme de la nature sous la forme de talus herbeux
que picorent des corbeaux.
Il s'est rasé, a revêtu son costume de marié, chaussé des escarpins
cirés au préalable ;
une bouteille de Condrieu et Une ténébreuse affaire de Balzac
occupent la petite table
prévue pour le téléphone.
Sauf erreur de sa part, il pense constituer la totalité de la
clientèle de l'établissement tant le silence est profond.
Apercevant une feuille de papier à en-tête il y note une
question :
Par qui souhaité-je me faire accueillir ?
Et la réponse : La Fontaine.
La feuille, pliée en quatre, est glissée dans une enveloppe qu'il
place bien en évidence
Sur le traversin
puis il s'allonge et ferme les yeux.
Le lendemain il raconte en détail le déroulement de la scène à
son analyste le docteur Friedel
qui lui serre la main avec effusion comme à l'unique rescapé
d'une expédition himalayenne.
...

« Pisz na Berdyczów ! » Ça veut dire « Écris-moi à Berdichev »
Parce que tous les marchands de Pologne, de Lituanie et de Russie
Passaient par Berdichev, un des centres de commerce et de banque principaux de la région
Mais quand l'activité économique se déplaça à Odessa, la ville déclina rapidement
Et « Pisz na Berdyczów ! » est devenu : « Écris a personne »
ou « Laisse-moi tranquille ! »
Il écrit « Pisz na Berdyczów » sur une feuille de papier et la fixe à sa porte
Mais nul ne lit le polonais ici, les gens ne comprennent pas ce qu'il a voulu dire
Alors on frappe, on sonne, on glisse des mots entre le battant et le parquet
On chuchote ou on crie, on parle rudement ou avec distinction
Selon les circonstances
Il n'a que faire des circonstances
« Pisz na Berdyczów ! »
...

Il marchait
entre les peupliers et l'asphalte
passait devant des fermes des champs
des centrales électriques
les automobiles filaient
noires à l'intérieur
un soir de pluie il avait mis le pied sur quelque chose
de craquant et mou :
un hérisson écrasé
que la violence du choc avait rejeté
sur le bas-côté
la neige était tombée très tôt cette année-là
mais elle ne l'avait pas découragé
tout au plus ralenti ses pas
il chantait un psaume ou un cantique
et avait l'impression
qu'un colleret de fourrure
s'enroulait autour de ses épaules
les aubergistes
peu habitués à voir arriver des clients
à cette période
lui faisaient bon accueil
il dînait d'une tourte et d'un fruit
couchait dans des lits moelleux
le tout pour quelques pièces
puis il repartait à l'aube
à travers les villages endormis aux toits blancs
ayant oublié depuis longtemps
la musique pour laquelle
il avait pris la route
...

Emmanuel Moses Biography

Emmanuel Moses is the author of seven collections of poems, most recently Figure rose (2006) which received the Prix Ploquin-Caunan of the Academie Francaise, and of eight fiction and nonfiction prose works. Two further collections of poems will be published in 2009 and 2010.)

The Best Poem Of Emmanuel Moses

Old conversations

He had remembered old conversations with this one and that one,
Viaticums which seemed to him to be past use,
In a room almost entirely occupied by a baby grand piano,
While in the middle of the square a streetlight crackled,
A little square, German and eastern, in a pine-tree's shade,
But especially on the bench at Greenwich,
The sky immense, dusk falling
On the line of poplars bordering the lawn
Where children played football, people walked their dogs,
As a few old men strolled before returning to the close air
And medicinal odor of their rooms,
And a biplane descended towards a neighboring club.
Mim had told him one had to be able to talk about oneself
Or one would end up talking about nothing else,
The former breaker of hearts from Moscow to Czernowitz,
The guitarist with chestnut curls and a childish pout,
At present a little man approaching fifty,
Stooped, with an émigré's timid smile,
With his cabled sweater, his bargain boots,
The bitter fatalism of someone who's known hope,
Has seen it grow and fly away
Leaving him alone with his risky, if not pitiful present,
The two-room apartment in a working-class suburb, the pursuit of fees,
The candle-end economies,
The son who stayed in the old country, the daughter who left,
The wife hardened by betrayal and neglect,
Showing by every word and gesture
That it is too late to start over,
Content to drift without resistance
And with an infinite patience
For what has she to expect that she hasn't already lost,
Even Grad, pacing the apartment from end to end,
Probably already invaded by metastases,
Had shown reticence.
One does not try to escape the Almighty's will with impunity,
Even in embarking for far-away places.
By stretching over the sheet-music and giving in to sleep,
He had gotten his fingers burnt -
No one else here, between the Hôpital St-Louis and the Institut Curie
Had had the guts to do it -
And no one would be saved without embarking on the same road,
Bitter, hard.

Translation: 2009, Marilyn Hacker

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