Hédi Kaddour

Hédi Kaddour Poems

On revenait du bois de pins
En saluant au passage le cuisinier
Tôt retraité : sa fille était morte
À moto et il élevait des chiens
De race airedale, affectueux et roux.
Quelques jardins plus loin, c'était
L'heure du café accompagné de sablés
Dans un salon où les portraits
Rappelaient Stalingrad puis les Aurès.
La voix de la dame disait n'avoir jamais
Aimé la guerre ni ceux qui l'obligeaient,
Encore enfant, à manger sous la table.
Sur la faïence des grandes tasses,
Un couple marchait vers une fête foraine.
...

We came back from the pine woods
And greeted, as we passed, the cook
Who had retired early: his daughter died
In a motorcycle crash; now he raised dogs,
Airedales, reddish and affectionate.
A few gardens farther on, it was
Time for coffee and shortbread cookies
In a living-room where portraits brought back
Stalingrad, then the Aurès mountains.
The woman's voice declared she had never
Liked wars, or the people who made her eat
Under the table when she was still a child.
On the ceramic of the coffee cups
A couple ambled towards a county fair.
...

On commence avec aubier entre syntaxe et
Saules pleureurs, mais les mots savent le monde
Et cœur n'est pas si mal; il y a aussi
Les groseilles ou le mur de ferme, il peut
Faire pivoter la plaine, les heures, un conflit,
Il y a le voisin dans le métro, c'est du travail
Inépuisable et puis il faut de temps en temps
Conclure comme le réclame cette boucle; on reste
Seul, très dépendant de ceux qui lisent, fini
Pour cet instant et cet espace, vous pouvez
L'appeler poème, ce qu'il reste à dire avale déjà
L'autre page; il y a la poésie des autres,
Qu'on aime lire et réciter, les promenades en ville
Ou la forêt, la première heure du matin
Entre l'or et la bile, et pour toujours aux prises
Avec la matière et l'histoire, un désir de poésie.
...

You start with sapwood between syntax and
Weeping willows, but words know the world
And heart is not so bad; and there are also
Gooseberries or the farm wall, it could
Make the plains revolve, the hours, a conflict,
There's the man beside you in the métro, it's inexhaustible
Work and then you must from time to time
Finish as this turn demands; you are still
Alone, dependent on those who read, finished
For this moment and this space, you can
Call it a poem, what's left to say is already
Devouring the next page; there is the poetry of others,
That you like to read, recite, walks in the city
Or the woods, the first hour of the morning
Between gold and bile, and always grappling
With substance and history, a desire for poetry.
...

Les arbres de la cour circulaire
Jaunissent, une délirante en contention
Les regarde ; elle se met à parler
Soudain comme si de rien n'avait
Jamais été, puis meurt le lendemain
De sa tuberculose en s'excusant
D'avoir tant dérangé. Il ne faut pas
Non plus, dit le docteur, chercher
A complètement calmer certains
Patients car ils s'ennuieraient trop.
Il a cessé de rêver aux sociétés
Sans classes, et s'installe parfois
Devant le kiosque municipal pour écouter
Une fanfare jouer des marches d'Empire.
...

In the circular courtyard, trees
Turn yellow, a madwoman in restraints
Watches them; all at once she starts to speak
As if nothing were out of the ordinary
And the next day she dies
Of tuberculosis, making excuses
For having been such a bother.
It is not necessary, says the doctor
To try to calm such patients down completely
They would become too bored. He has ceased
Imagining a classless society
And sometimes sits in front of the municipal
Bandshell, to listen to a brass band play
Military marches of the Empire.
...

Je suis le point unique, la leçon
D'un paysage où se joignent, le soir,
Rivière, église et vieux moulin :
Le clocher monte, l'arbre tient,
La roue travaille, et l'eau grise
S'en va sous le vent d'hiver,
Laissant passer, entre chaque aube,
De quoi moudre le grain, scier
Les planches des cercueils, et faire
Rêver l'oisif, dans ce roulement calme
Qui continue à fabriquer de l'énergie
Avec le temps qui reste à la matière
Quand les hommes ont fini de crier
Sur le manteau doux de la neige.
...

I am the single point, the lesson
In a landscape where evening links
A stream, a church, and an old mill:
The bell tower rises, the tree stands fast,
The wheel works, and gray water
Flows away beneath the winter wind,
Letting enough pass, from dawn to dawn
To grind grain, to saw
Coffin planks, to make
Idle men dream, in this calm rumbling
Which keeps on fabricating energy
In the time that's left for matter
When mankind has done shouting
Over the soft cloak of snow.
...

Pour le plancher, c'est un point
De Hongrie : chaque carré fait de quatre
Carrés dont les lattes semblent
Se poursuivre, et les murs sont plaqués
De cuir et d'acajou. D'ici on surveillait
L'usine, on servait les éclairs, on jouait
Beethoven en rabotant les ironies,
Et quand tout a fermé on a mis pour
Trente ans les gendarmes. Il ne vient
Plus personne, le Pleyel est foutu
Et le docteur ajoute qu'un bon coup
De chaleur c'est quatorze de ses vieux
En moins dans le bourg, à quinze cents
Francs chacun par an, on fait vite le calcul.
...

As for the parquet, it's in a fishbone pattern:
Each square made of four other
Squares whose planks seem to pursue
Each other, and the walls are covered with
Mahogany and leather. From here, they watched
The factory, they were served éclairs, they played
Beethoven, planing down his ironies,
And when it was all closed up police were posted
Here for thirty years. No one comes any more,
The Pleyel is shot to hell
And the doctor adds that with one good heat
Wave, there'll be fourteen less of his
Old geezers in town, at fifteen hundred
Francs apiece a year, you can add that up fast enough.
...

Frôlée soudain par l'ombre
De ce qu'elle a dit « ça me fait
Chaud au cœur » elle se tait laisse
Jouer la rumeur des autres tables
Où minute par minute se produit
La folie d'être ensemble pour
Un soir avec du vin
Et des gnocchis ; quelqu'un
Au loin proclame qu'on ne doit
Jamais manger l'amour
Sous forme de tripes froides
Elle rit n'ajoute rien ne parle surtout
Pas de ce que feint le verre
Qu'elle tient à hauteur de sa gorge.
...

Brushed suddenly by the shadow
Of what she's just said "That heats up
My heart" she falls silent lets
The murmur from the other tables play
While each minute it becomes clearly madder
That they should be here together for
An evening of wine and
Gnocchi. Someone far
Off proclaims that one should never
Ingest love
In the form of cold tripe
She laughs adds nothing certainly doesn't
Speak of what the glass is hiding
That she holds level with her breasts.
...

Celle qui malgré l'hiver a gardé
Aux joues le souvenir des raisins
Suit de l'œil un couple lent ;
Il franchit le pont de pierre
Vers le bout de forêt où s'embusque
L'ombre bleue des renards. Tout cela
Prend silencieusement sa part de haine,
A l'heure où les jeunes femmes
Quittent la maison lourde de neige,
La tête dans la nuit, étourdies d'avoir
Bu du vin en flammes et filé le lin
De leurs draps entre les jeux, les gages
Et les mensonges, sous le regard
Des hommes qui graissaient des courroies.
...

The one who has kept, in spite of winter
A memory of grapes on her cheeks
Follows a slow couple with her eyes;
They cross the stone bridge towards
A bit of forest where the blue shadows
Of foxes lie in ambush. All that
Silently claims its portion of hate,
At the hour when young women
Leave the house, heavy with snow,
Their heads still full of night, careless from having
Drunk mulled wine and spun
The linen of their sheets between games, forfeits
And lies, beneath the gaze
Of men waxing harnesses.
...

Le soleil allume en clair-obscur
L'ombre du frêne dans l'ombre d'or
Du petit bois ; les vitraux
De l'église aux histoires mortes
Vibrent sous le rire des cloches,
Et l'ample robe d'une femme
En aventure fait au passage frémir
La saillie du chemin dans les herbes.
Je te quitte parce que tu n'es plus
Personne, a-t-elle dit à son amant
Devant un carafon de vin nouveau
Dont la splendeur réchauffait la pièce.
Elle marche en souriant, laissant
Aussi glisser des larmes sur ses lèvres.
...

The sun highlights the ash-tree's
Shadow against the golden shadow
Of the grove; the stained-glass windows
In the church of defunct histories
Vibrate beneath the laughter of the bells,
And the full skirt of an adventurous
Woman passing by makes the edges
Of the path in the meadow shiver.
I'm leaving you because you aren't
Anybody anymore, she had told her lover
Over a carafe of new wine
Whose brilliance reheated the room.
She walks on smiling, all the time allowing
Tears to glide down across her lips.
...

H. Flinker
Le petit homme fermait parfois
Sa librairie, le temps de recopier
Un inédit qu'on récitait. « Étonnant,
Ce poème, weiss sind die Tulpen, ça vient
De Rilke, j'en suis sûr, schwartz sind
Die Straücher, mais il a mis tulipes blanches
Au lieu d'arbustes noirs : Paul
Celan n'aimait pas les arbres. Vous
Ne l'avez pas connu, et vous aimez ?
Attention à la bigoterie ! Ici, c'est
La fosse aux livres, et les gens
En vitrine sont presque tous des amis
Morts : la littérature, ça n'est
Jamais qu'une façon de passer. »
...

H. Flinker
The little man would sometimes shut
His bookshop, long enough to copy out
An unpublished one we'd read out loud. "Surprising,
This poem, weiss sind die Tulpen, that comes
From Rilke, I'm sure of it, schwartz sind
Die Straucher, but he's put white tulips
Instead of black shrubs: Paul
Celan didn't like trees. You
Never knew him, and you like these poems?
Watch out for bigotry! Here, it's
A mass grave for books, and the people
In the window are almost all dead
Friends: literature, all it is ever
Is a way to pass, get by."
...

19.

On marche ensemble sur le promenoir
Au pied des maisons d'Anglais
Fin dix-neuvième. Les mimosas résistent
Au vent de la Manche qui jette
Une lumière cadmium à fond violet
Sur les grosses marches de pierre
Où tourne une silhouette de femme
Perdue dans son manteau : écume,
Où bat parfois comme un cœur
Invisible le temps jamais rattrapé
Des images, quand la pensée
Pleure de rage devant le bel
Ordre elliptique du jour d'ardoise
Que tend la corde d'un cerf-volant.
...

20.

We walk together on the promenade
Below houses where the English lived
A hundred years ago. Mimosa holds
Out against the Channel wind which throws
A purple-grounded cadmium light
On the stout stone steps
Where a woman's shape revolves
Lost in her coat: foam, in which
There sometimes beats like an invisible
Heart the unrecaptured time
Of images, when thought
Weeps with rage before the beautiful
Ellipsis of a slate-gray day
Held aloft on a kite-string.
...

The Best Poem Of Hédi Kaddour

LA FÊTE

On revenait du bois de pins
En saluant au passage le cuisinier
Tôt retraité : sa fille était morte
À moto et il élevait des chiens
De race airedale, affectueux et roux.
Quelques jardins plus loin, c'était
L'heure du café accompagné de sablés
Dans un salon où les portraits
Rappelaient Stalingrad puis les Aurès.
La voix de la dame disait n'avoir jamais
Aimé la guerre ni ceux qui l'obligeaient,
Encore enfant, à manger sous la table.
Sur la faïence des grandes tasses,
Un couple marchait vers une fête foraine.

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