Véronique Pittolo

Véronique Pittolo Poems

Dans le rituel de la fête des mères, les vêtements sont repassés, les visages, jolis, la famille unie, jamais épique. La vie domestique est reléguée aux repas, horaires, ourlets qui attendent. Chacun survit entre quatre murs, c'est peu et beaucoup pour un petit nombre, l'enfant comme extension de la mère, bourgeon coupé du père. On en fera quelqu'un, malgré tout. La jeune fille voudra compenser les sacrifices de toutes les femmes. Pendant que sa mère prépare le repas, elle observe sa fatigue, le soir, dans la cuisine. Elle voudra ouvrir la plaie, observer l'aile du petit canard, le reposer sur le sol.

Si vous êtes le vilain, vous verrez votre famille de l'extérieur.
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In the ritual of Mother's Day, clothes are ironed, faces made attractive, family united, nothing dramatic. Home life is reduced to meals and times, a hem that's waiting to be turned. Everyone survives between four walls, it isn't much, yet for a few it means a lot, the child as an extension of the mother, scion of the father. In spite of everything, they'll make him into someone. The girl will want to compensate for every woman's sacrifice. While her mother cooks the meal she sees her tiredness, by evening, in the kitchen. She'd like to open up the wound, observe the duckling's wing and lay it gently on the ground.

If you're the ugly one, you'll see your family from the outside.
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Les rois et les reines sans enfants finissent généralement par avoir une fille.

Une fille !

Le cri de déception résonne dans tout le royaume. Ils sont déçus.
Cette enfant doit promettre des dons, des prévisions autour du berceau, un prince et tout ce qui s'ensuit. On calcule les maladies, on dénombre les réussites.

Un chemin de vie, qu'est-ce que c'est ? Les grandes espérances dans les lignes de la main, oui… mais ensuite ? Parmi les rôles de père, mère, enfant, celui qui pioche la mauvaise carte s'en souviendra.
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Childless kings and queens generally end up having a daughter.

A daughter!

The shout of disappointment echoes through the whole kingdom. They are disappointed.
This girl-child has to promise gifts, predictions round the cradle, a prince and all that follows. They calculate each illness, add up each success.

A path in life, what is it? Great expectations in the lines of a palm, oh yes… but then what else? Between the rôles of father, mother, child, the one who draws the losing card will remember.
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A l'apogée de sa crue, on imagine la fillette au bras d'un cavalier. Mais les cavaliers passent, les jeunes filles restent… la vie s'enfuit au volant d'une décapotable.

(Naître fille est un handicap qui consiste à être deux fois plus vivante qu'un garçon).
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At the highest point of her development, you imagine the little girl on the arm of a beau. But the beaus go by, the young girls stay behind… life speeds away at the wheel of a convertible.

(To be born a girl is a handicap which consists of being twice as alive as a boy.)
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Si le rêve de l'humanité est de s'affranchir, la jeune fille en fait partie.

Elle fait partie de ces grandes poussées vers l'avant, cette lente traversée.

Pour les jolies à la taille serrée, c'est plus facile : absolument indépendantes, elles sont favorisées. Le sol n'est cependant pas stable pour une ardente jeunesse, les murs ne tiennent pas droits.

Ce qui explique la jeune fille, ce sont les marches manquées.

Les autres rejoindront la masse des sans charme, des petites sœurs devant les miroirs.
C'est ahurissant. Devant son image, la petite laide grimace. Pour être la jeune et belle parmi toutes, il faut posséder son reflet.
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If humanity's dream is to set itself free, then the girl is part of it.

She's part of those great thrusts forward, this slow crossing.

For the pretty ones with cinched-in waists, it's easier: completely independent, they are favoured. Yet the ground's unstable for the young and passionate, the walls won't stay upright.

The explanation of a girl is all the missing steps.

The others will go back among the charmless masses, join the little sisters at their mirrors.
It is staggering. In front of her reflected self the little ugly one makes faces. If she wants to be the youngest and fairest of them all, she has to possess her reflection.
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La question de la beauté se posera. Définitivement. Le symptôme féminin va avec danger, attente, frustration, espérance vertigineuse.

L'arrivée d'une fillette constituait pour les familles royales une catastrophe, ce n'était pas le divin enfant, on observait ses futures empreintes, ses cheveux, ses petits fossiles dentaires.

La partie nocturne de la sorcière resterait intacte. Aujourd'hui, par la procréation assistée, la mère prend ses distances, garçon ou fille, l'enfant est accepté, déclaré, un tampon le prouve. Elle ne s'interroge plus dans le miroir de la salle de bain.

Les techniques modernes proposent des enfants nouveaux pour des mères solitaires. Les pères continuent à réparer les ampoules, les enfants s'ennuient.
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The beauty question will be asked. Once and for all. The sign of femaleness goes hand in hand with danger, expectation and frustration, dizzy hope.

The birth of a baby girl for royal families was a disaster, she was not the holy child, the marks she'd leave were monitored, her hairs, the little fossils of her teeth.

The witch's night-time part would stay intact. Today, with assisted reproduction, mothers stand aloof, and boy or girl, the child's accepted, registered, certified by a rubber stamp. In the bathroom mirror she no longer interrogates herself.

Modern techniques suggest new children for mothers on their own. Fathers go on changing light-bulbs, children go on getting bored.
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Dans certaines familles, la République des filles fut le catéchisme. La jeunesse des écoles arrivait bruyamment avec les uniformes, les chaussettes blanches.

Aujourd'hui, on néglige le vide des pensionnats, l'ivresse des cierges, des jardins enneigés. On a fait croire aux filles qu'elles pourraient accéder au mariage, avoir des enfants, que les hommes s'arrêteraient devant les cafés. Est-ce sérieux ? Comment se faire raccompagner, alors que les jupes n'ont pas encore gonflé ? Comparer la longueur de mes jambes à celle des autres filles, était-ce nécessaire ?

Bientôt, on pourra sortir au bras d'un inconnu,
l'embrasser, fumer une Marlboro à deux. Les princesses pauvres aux cheveux détachés vont se libérer plus vite que les riches qui croupissent. Entre les deux, la masse des étudiantes manifestera dans la rue.
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In certain families, the republic of girls was the catechism. Schoolgirls arrived noisily in uniform, white socks.

Today the emptiness of boarding-schools, the intoxication of wax candles, the gardens under snow are neglected. Girls have been led to believe they might gain access to marriage, have children, that men would stop at the café door. Are they joking? How can you get a man to bring you home when your skirt hasn't yet filled out? Was it necessary to compare the length of my legs with the length of other girls'?

Soon, she'll be able to go out on a stranger's arm, and kiss him, share a Marlboro. The poor princesses with their hair loose will break free faster than the rich ones who stagnate. Between the two, the mass of female students will be demonstrating in the street.
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Les cheveux tirés en barrette empêchent le bien-être des adolescentes qui vieillissent sans sortir de l'enfance. Rien n'entame l'expansion d'une chevelure, du désir de bal, d'une virée à l'horizon. Si l'horizon approche, la vision retombe, avec une cigarette, il explose. Une Suze, un arrêt sur l'autoroute, encore une cigarette, un autre verre.

La jeune fille ne souhaite pas redescendre après être montée. Ayant peu de loisirs, elle conserve ses rêves de juke-box à une époque où les prothèses technos n'existent pas.
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Hair that's pulled back and fastened with a slide makes it impossible to thrive, for those adolescent girls who age while they're still children. Nothing makes a dent in their big hair, their longing for the dance, to take a spin out to the horizon. If the horizon comes too close, the vision fades, a cigarette and it explodes. A Suze, a motorway café, another cigarette, another glass.

Now she's got on the girl has no wish to get off. Not much free time, she still retains her juke-box dreams in an age when techno-prostheses aren't around.
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La catégorie masculine est d'abord une entité inconnue, longue, musclée, qu'il faut du temps pour comprendre quand on est jeune comme une jeune fille qui ment sur son âge. Si le masculin et le féminin s'éloignent, le samedi n'arrive pas, le bal n'a pas lieu. On ira consulter les astres, devant un Dieu indifférent.
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The class of maleness is at first an unknown entity that's long and muscled, that takes time to understand when you are young as a girl is when she lies about her age. If masculine and feminine aren't close, then Saturday never comes, the dance does not take place. She'll go and read the stars, as God's indifferent.
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Dans les jupes du catéchisme, chacune ressent son infériorité (refus de plaire, d'avoir la tête qui tourne le samedi soir). La religion et les contes fabriquent des familles toxiques (une fausse reine, un fils vengeur, une couronne inutile). Les rebelles ne souhaitent pas se reproduire, ni l'usine, ni le couvent, ni un mari ou une femme qui rentre tard. La confession et les socquettes blanches seront réservées à la fillette qui sent le sang couler, et là où les princesses se piquent, la Vierge lui apparaîtra (évanouissement).
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In catechism's skirts, each girl is sensible of her inferiority (refusal to look nice, to have a head that spins on Saturday nights). Religion and fairy-tales make up a toxic family (false queen and vengeful son, a useless crown). The rebel girls have no desire to reproduce, nor for the factory, the convent or a husband or a wife who comes in late. Confession and white socks will be reserved for the child who feels the blood run down, and where princesses prick themselves the Virgin will appear to her (she faints).
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On a fait naître les jeunes filles dans le corset des religions. Une fois mères, elles se souviendront des sermons jusqu'à la corde, des cheveux tirés, des jambes vite grandies.

Le reflet du crucifix s'est effacé en l'absence de doudou, Jésus a déserté le visage des pensionnaires, les chevelures exagérées, ficelées, de toutes celles qui en bavent, ouvrent la bouche en dormant. Si bon Dieu enregistre cette déformation, la puberté fera exploser les élastiques.

Les culottes en coton seront jetées, et parmi d'autres vestiges, il y aura des destructions moins délicates dues aux guerres, aux occupations de territoires, aux photos ratées.

Il suffit de se reconnaître dans les souliers d'une communiante et sous l'aube, dans le discours du prêtre.
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Girls have been created in the corset of religions. As mothers they'll look back on threadbare sermons, scraped-back hair, fast-elongating legs.

The glint of crucifix has faded with the baby blanket, Jesus has deserted boarders' faces, the exaggerated dog's-dinner hairdos of all the girls whose tongues are hanging out, who sleep with open mouths. If good God registers this pulling out of shape, their puberty will make the rubber bands explode.

The cotton knickers will be thrown away, and with the other relics there will be less delicate destructions, the result of wars, of territorial occupations, of photos that didn't come out.

You only have to recognize yourself in those first communion shoes in the light of dawn, in the words of the priest's address.
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The Best Poem Of Véronique Pittolo

Dans le rituel de la fête des mères

Dans le rituel de la fête des mères, les vêtements sont repassés, les visages, jolis, la famille unie, jamais épique. La vie domestique est reléguée aux repas, horaires, ourlets qui attendent. Chacun survit entre quatre murs, c'est peu et beaucoup pour un petit nombre, l'enfant comme extension de la mère, bourgeon coupé du père. On en fera quelqu'un, malgré tout. La jeune fille voudra compenser les sacrifices de toutes les femmes. Pendant que sa mère prépare le repas, elle observe sa fatigue, le soir, dans la cuisine. Elle voudra ouvrir la plaie, observer l'aile du petit canard, le reposer sur le sol.

Si vous êtes le vilain, vous verrez votre famille de l'extérieur.

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