Valérie Rouzeau

Valérie Rouzeau Poems

L'armoire est vide pas de morts pas de pain
À glace en date de naissance d'aïeule sombre
Comme un immense couffin quoi va partir
Là-dedans si la galère flambe.

L'ivre bateau que ça devient l'armoire rappelée si soudain jusqu'à la mer bleue rouge noire loin -
Draps dépliés toutes voiles hissées
Les fantômes bernés de l'histoire -
Tu penches, la vie
Vers quel infini quel oubli.

La mite a mangé le mouton
Allons
Si l'or vaut moins que le charbon
Scions scions !

L'arrière tante s'est jetée sous un train par amour
Le cœur que j'ignore d'elle
N'arrange à l'intérieur les affaires personnelles
À ta vie atavisme tata
Sur le quai les métros et l'RER à moi.

Mobilier défermé a perdu son mouchoir
Ses miettes de biscuit lu ses cols roulés troués ses foulards ses fichus
Corniche quelle proue si l'on si juche émue
Il n'y a plus d'oiseau pour siffler dans ce bois.

Chavire en mémoire courte chêne massif lourde armoire
Étagères chositude
Penderie hébétude
Miroir exactitude
Dans sa plus jolie robe elle danse elle a seize ans.

C'était il y a longtemps qu'un ange passe maintenant
(Le meuble de mariée servit à faire du feu sitôt feue tata claire
Fouie sans corsets ni yeux).
...

I

Le cheval a mangé la rose voici le Prince
Il est ébouriffé il a dû attraper du grand vent comme un arbre et des plumes au passage
Montre-moi ta banlieue dit-il et je l'emmène
Voir à même le bitume d'une rue pittoresque
Quatre pieds de carottes levés dans le trottoir
Et maintenant allons poursuivre notre fête
Sur le chemin de fer français à cette heure-ci c'est un départ en bleu
Nous nous rendons à pinces dessous le fil à linge où ma jupe frissonna il était une fois
(Dans la brise de Praha et puis de Cordoba j'attendais son retour
Je semais un éden béton un jardin pour mieux lui faire la cour)
Alors le bouchon part visant le petit train des mains du bien-aimé et je suis très touchée


II

(Autrefois à un adieu d'amis je déchire mon vêtement de pluie en plongeant d'un mur des Tuileries dans une profondeur grise de cyprès une nuit et je fais sur mes chaussures un bruit presque mélodieux puis j'escalade) je continue sous les étoiles


III

Une file indienne d'Ivoiriens traverse avec chacun sur la tête un colis
(Un colis beau colis brocoli)
La cour où la bourrache a levé d'un parpaing creux
(Pour ses yeux c'est fête juste pour ses yeux)
Je veux dire quelque chose de moi à lui et bouleversement
Cette phrase de fourmis noires avec ses pousses de chou vertes ou bleues qui se balancent c'est immense aphro-paradisiaque
Il n'aura pas besoin de chausser ses lunettes pour lire mon amour


IV

À quatre heures du matin sous la lune il sort
En costume d'Adam mon amant va respirer la rose
La rose éclose dans la cour grise
À quatre heures nu sous la lune la ville aurait pu le voir avec la rose
Alors j'ai grimpé à son cou
Comme un lierre comme trémière
La rose.
...

I

The horse has eaten the rose here is the Prince
His hair is all on end he must have run into a gale like a tree and feathers as he passed
Show me your neighbourhood he said and I take him by the hand
And show him right up close the tarmac of a colourful street
Four carrot-tops growing in the pavement
And now let's carry our party on
To French Rail there's a blue train leaving now
We hoof it on our pegs under the clothes-line where upon a time
My skirt once shivered (in the breeze of Praha then of Cordoba I awaited his return
Sowing a concrete Eden a garden the better to woo him with)
Then the cork pops out at the little train from the hands of my beloved and I'm deeply touched


II

(Back then at a friends' farewell I tore my mac as I plunged from a Tuileries wall into a deep grey pit of cypresses one night and did it on my shoes with an almost melodious sound then I started to climb) I go on under the stars


III

A single file of men from the Ivory Coast each one with a box on his head
(Lovely broccoli in broxes)
The yard where the borage grew in a breeze-block's hollow
(A party for his eyes for his eyes only)
I want to tell him something of myself and arsy-versy
This black ant sentence with its shoots of cabbage green or blue and waving is
An aphroparadisiac and huge
He won't need to put his glasses on to read my love


IV

At four in the morning under the moon he goes
In his Adam suit my lover goes to smell the rose
The rose that's opened in the courtyard's grey
Four in the morning naked under the moon the whole of the city could have seen him with his rose
Then I climbed to his neck
Like ivy holly
Hock and rose.
...

4.

Pour maman, pour mes sœurs Nathalie et Julie, mes frères Stéphane, Franck, David et Nicolas cette comédie . . .
Voici d'iliade longtemps j'étais petite enfant
Et je touchais à tout
Alors « la trafiquante » mon père me baptisa
Ou plutôt me rappela.

Avec ce sobriquet
Je devins fière fière fière comme une bougie
Tout s'éclairait même le crapaud pisseur
Caché trrès au fond de mon cœur.

Je trafiquais des éléphants microscopiques
Des fourmis géantes du vrai Moyen-Âge
Aux pattes griffues de griffon
À la crinière de lion
À la queue de poisson
Des balais élastiques une ménagerie tactique.

Trafiquante puisque j'embarquais la porcelaine
Les couteaux-qui-coupent
Les dents de la grand-mère
Et je me rougissais au géranium au chant d'oiseau
Me verdissais en sauterelle m'ébleuissais ciel ciel.

Convoquais la grenouille la tortue la laitue
L'escargot l'escarpin
Volé vermeil talon pas mal
À ma mère elle aussi trafiquée par mes soins
Aiguilles et pommes de pin
Cachous crachats crachin.

Trafiquais encore napperons et mouchoirs
Je brodais me faisais mousser
D'un blaireau singulier sanglier
Mystère pater aux rideaux je grimpais
Là-haut terreur juchée en catastrrophe
Et ciré rose avec tête de minouche.

Je trafiquais idem la soupe c'était trrop louche
Toute cette tignasse d'ange qui y baignait
Avec les cubes en or en soit jeté le sort :
Cours à toutes jambes bouillon
Ou brûle mon pantalon !

Je trafiquais itou les yeux de l'ours ronds ronds
Le chiffon de poupée la passoire l'écumoire
La digitale poison nommée gant-de-renard
Dans l'Angleterre profonde comme les bottes de pluie
Où sautais à pieds joints les bons matins trrempés
Attraper la merveille des nuages de passage
Et changer moi pareil.

Trafiquante solitaire tout au fond du jardin ou le nez dans l'armoire
Les parents faisaient « trr . . . trr . . . trr . . . »
C'étaient d'étrranges créatures pApache ma Manche
Je crois que je les aimais bien
Dans ce temps aux couleurs simples élémentaires
Idiotes comme si vraiment le soleil était jaune.

Moi je leur arrivais aux mains grandissais bien
J'allais d'ailleurs de plus en plus loin que le fond du jardin
Que le fond de l'armoire que le fond du vieux puits
Il y avait la lune aussi là dans ma vie
Pas celle que l'on avait marché dessus l'autrre
La rayonnante l'effrayante la secrète Phoebé.

Trr . . . trr . . . trr . . .
Je grillonnais pour porter de la chance
Ou quoi de trrès heureux trrès trrès trrès
Parfois le satellite sélène de la terre me souriait
Alors je m'allumais je me balançais haut
Comme la plus petite araignée qu'autrefois je croyais
Suspendue dans le vide.

Trr . . . trr . . . trr . . .
Je crayonne je chiffonne
Trr . . . trr . . . trr . . .
Trr . . . trr . . . trr...
Je note je grigrillonne
Tant que la vie m'étonne
Trr . . . trr . . . trr . . .
...

for Mum, for my sisters Nathalie and Julie, my brothers Stéphane, Franck, David and Nicolas, this ‘comedy' . . .
An iliad ago I was a little girl
A finger in every pie
And so my father christened me
‘The trafficker' - or he recalled me rather.

And with that moniker
I stood up tall tall tall as a candle flame
And everything lit up even the pissing toad
Trrapped deep inside my heart.

I trafficked microscopic elephants
And giant genuinely medieval ants
With a griffin's grip
A lion's mane
A fish's tail
Elastic brushes household zoo of wiles.

A trafficker I shipped out crockery
And knives-that-cut
And granny's teeth
Smeared my face red with birdsong geranium
Grasshopper green and sky sky-blue.

Summoned the frog and tortoise lettuce
Snail and stolen
Bright-red court-shoe quite attractive heel
From my mother also thanks to me mixed up
With needles pine-cones
Cough-drops spittle rain.

And dealt in doilies hankies
I'd embroidered got myself lathered up
With a wild boar badger brush
Hooked by the Daddy-mystery I'd climb the curtains
Terrrified up there purrched on the very edge
Pink oilcloth with kitten's head.

And what's more trafficked in soup not ladlelike
That floating noodle shock of angels' hair
With its cubes of gold let its die be cast:
Run fast as I can from the boiling pan
With fire in my pants!

Likewise I trrafficked in the round round eyes
Of bears the rrag of dolls the colander the slotted spoon
The digitalis poison they call foxglove
In England deep as Wellington boots
Where I'd jump two feet at once good mornings drrenched
With water catch the miracle of passing clouds
And changing me the same.

A lonely dealer at the bottom of the garden or my head inside the wardrobe
While my parents rolled their tongues, ‘trr . . . trr . . . trr . . .'
They were the strangest creatures my Papache my Mamanche
I think I liked them
In that time of simple silly primaries
As if we really ever had a yellow sun.

And I came into their hands I grew
And what's more soon went farther and farther than the bottom of the garden
Than the back of the wardrobe bottom of the well
There was the moon too there in my life
Not the one we trod on the other one
The luminous terrifying secret Phoebe moon.

Trr . . . trr . . . trr . . .
I chirped like a cricket to bring myself luck
Or whatever was trruly happy trruly trruly
Sometimes the satellite Selene of the earth would smile at me
And I'd light up swing out high
Like the smallest spider I used to believe
Suspended in emptiness.

Trr . . . trr . . . trr . . .
I scribble I scrunch it up
Trr . . . trr . . . trr . . .
Trr . . . trr . . . trr . . .
I note it down I chirrup my magic sounds
As long as the world astounds.
Trr . . . trr . . . trr . . .
...

À la mémoire de Fernande Zang
Dorénavant sans ciel avec torchon d'aïeule un fantôme
Un revenant coton autant dire un nuage passé troué
Autant dire que je pleure dans le grand mouchoir que ça devient
Dieu perce rien on sait bien qu'y 'xiste pas guère

Il y a des pâquerettes et du vide en ce morceau de tissu
Un jour fut sur l'épaule de grand-maman jeune femme
Un jour c'est dans le temps d'avant le temps navrant
Je vois des têtes de frères dans les buissons avec épines et liserons
Je vois les oreilles du cheval qui dépassent plus loin
La petite sœur boude quelque part dans le trèfle à trois feuilles ou sous le hangar en tôle grincheuse
Et moi où ai-je la tête

Pas dans la cuisine avec l'éponge au dos très vert gratteux
Les queues des casseroles comme les oreilles du cheval attention
La lettre du père noël dans le livre aux 365 recettes
La lettre du père fouettard confettis qu'on fit tard
Torchons serviettes coulants les nœuds
Ma caboche pas plus là qu'un canard sous la table encore que
Dans cette mômerie on trouve de tout et de memôire
Alors pourquoi pas sous la table à rallonges des gronde partance

Les canards étaient vrais ou faux
On n'a jamais une tête de trop
Même aux vécés avec les journaux les grillons les étrons
On a rarement une tête sans tronc

Et je ne perdrai pas la main dans ce torchon
Ce linge pas lange quoique
Ça marcherait dans une petite chanson
Une petite chanson domestique de joie dissoluble
Qu'un lange y vole

Torchon dérobé à l'armoire pour mémoire et non
Rectangle de toile qu'on utilise pour essuyer la vaisselle
Serpillière belge ou encore texte écrit sans soin
Et s'il brûle c'est de l'eau dans le gaz

Torchon comme une guitare
Un joli coup, un nénuphar
Une minuscule nappe de fortune
(Le hasard rime avec la lune
Et le violon n'est pas jaloux)

Ceci n'est peut-être pas carrément un poème
Mais je me demandais pourquoi j'avais envolé ce torchon
De l'armoire de grand-mère lorsqu'elle est morte hier
Les motifs n'en sont pas des pâquerettes mais deux canards
Deux gros canards et douze oranges
Qu'elles roulent les oranges qu'ils montent les canards lourds
Au paradis perdu toujours
Parmi les pélicans les grues les pères ubus
Et tout ce que je ne sais plus

Nous sommes les sans ciel nous essuyons
Qu'ils montent l'essentiel les canards aux oranges
À présent je comprends un rien de quelque chose
J'ai subtilisé ce torchon
Pour trouver mes paroles
Je sais que ma grand-mère me pardonne d'être drôle
Avec du machin grave

Elle veut bien que l'on rie de ce qu'elle avait mis
Mémé ses deux maris dans le même caveau dans le même infini où elle les rejoignit
Grave c'est tombe outre-Manche prononcé autrement
Je retrouve toute ma tête elle est dans le mouchoir
Le mouchoir de géant le torchon du vieux temps
Et elle tourne sûrement.
...

i.m. Fernande Zang
From this day on no sky a granny's rag a ghost
A cotton phantom you could say a faded holey cloud
Could call it crying in the great big handkerchief it makes
God can't see through it we all know he didn't never exist

There are daisies and emptiness in this scrap of cloth
One day it graced gran's shoulder when she was young
The next it's part of the time before the dreadful time
I can see brothers' heads in the bushes with thorns and bindweed
And further on I see the horse's ears sticking up
The little sister sulking somewhere in the three-leafed clover or under the big shed's growly corrugated roof
And where have I left my head

Not in the kitchen with the scratchy very green-backed sponge
The saucepan-handles like the ears of horses careful how you touch
The father christmas letter in the cookbook recipe a day
The note from father flog we finally made mincemeat of
Rags and napkins slipping like a knot
My headpiece gone as an under-the-table duck
While in this childishness you find it all by heart
So why not under the drop-leaf table while it takes its leaves

The ducks were true or false
And never an unwanted head
Even in the lav with the newspapers crickets bobbing turds
Hardly ever a severed head

And I won't lose my hand in this cloth
This drying-up nappy-it's-not
Though it'd be fine in a song
A little household song of fast-dissolving bliss
For a nappy to flap in

Tea-towel nicked from the cupboard for memory's sake and not
An oblong of fabric you use to wipe the crocks
Or a Belgian mop a sloppily written text
And if it burns there's water in the gas

A cloth like a guitar
A wonderwipe, a star
Of water-lily tiny impromptu table laid by chance
(Luck rhymes with the radiance
Of moonshine and the violin's not envious)

This may not be exactly what we mean
By poem but I was wondering why I'd whisked this cloth away
From grandma's wardrobe yesterday when she died
The pattern isn't daisies but two ducks
Two big fat ducks twelve oranges
And let them roll away the oranges and let the heavy ducks
Rise up for ever to a paradise that's lost
Among the pelicans the cranes the Père Ubus
And everything mislaid with my loose screws

We are the skyless we soak up
Let them rise to their oranges ducks the thing that counts
These days I understand a tiny nothing bit of something
I've secreted this
To find my words
I know my gran forgives me my sense of fun
With some serious stuff thrown in

She's glad for us gran to laugh at her for having put
Both of her husbands in the selfsame vault the same infinity
Grave is a tomb across the Channel differently pronounced
I've found my head again all in one piece it's in the hanky
Giant's hanky tea-towel of time past
And it's turning surely.
...

The Best Poem Of Valérie Rouzeau

L'armoire est vide pas de morts pas de pain

L'armoire est vide pas de morts pas de pain
À glace en date de naissance d'aïeule sombre
Comme un immense couffin quoi va partir
Là-dedans si la galère flambe.

L'ivre bateau que ça devient l'armoire rappelée si soudain jusqu'à la mer bleue rouge noire loin -
Draps dépliés toutes voiles hissées
Les fantômes bernés de l'histoire -
Tu penches, la vie
Vers quel infini quel oubli.

La mite a mangé le mouton
Allons
Si l'or vaut moins que le charbon
Scions scions !

L'arrière tante s'est jetée sous un train par amour
Le cœur que j'ignore d'elle
N'arrange à l'intérieur les affaires personnelles
À ta vie atavisme tata
Sur le quai les métros et l'RER à moi.

Mobilier défermé a perdu son mouchoir
Ses miettes de biscuit lu ses cols roulés troués ses foulards ses fichus
Corniche quelle proue si l'on si juche émue
Il n'y a plus d'oiseau pour siffler dans ce bois.

Chavire en mémoire courte chêne massif lourde armoire
Étagères chositude
Penderie hébétude
Miroir exactitude
Dans sa plus jolie robe elle danse elle a seize ans.

C'était il y a longtemps qu'un ange passe maintenant
(Le meuble de mariée servit à faire du feu sitôt feue tata claire
Fouie sans corsets ni yeux).

Valérie Rouzeau Comments

Fabrizio Frosini 13 January 2019

Valérie Rouzeau, born in Cosne-sur-Loire, near Nevers in the Burgundy region of France, on 22 August 1967, is a French poet and translator. She received the Prix Guillaume Apollinaire for Poetry in 2012 for the collection Vrouz. She currently lives in Nevers (Nièvre) .

5 0 Reply
Fabrizio Frosini 13 January 2019

She has published a dozen collections of poems, including Pas revoir, translated by poet Susan Wicks and published by Arc publishers under the title Cold Spring in Winter, shortlisted for the Griffin Poetry Prize,2010. She has translated works by Sylvia Plath, Ted Hughes and William Carlos Williams and the photographer Duane Michals. She lives mainly by her pen through public readings, poetry workshops in schools and radio.

5 0 Reply
Fabrizio Frosini 13 January 2019

Valérie Rouzeau is known for her civic generosity (few poets in France today are so in demand at schools and residencies and readings) . She is also one of the finest translators of poetry in English into French today, the capstone being her versions of Sylvia Plath and Ted Hughes.

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